jeudi 30 août 2012

Tendre est la nuit : en suivant les pas de Scott Fitzgerald

Un des plaisirs offerts par la vie dans le Sud est celui d'aller à la Riviera hors saison. L'idée donc "de m'y attarder dans la langueur d'un août finissant" avait quelque chose de paradoxal. 

Mais ayant trouvé, les fois précédentes, portes closes devant le Bar du Belles rives - baptisé Fitzerald en hommage à l'hôte qui créa littéralement cette adresse mythique de la Côte d'Azur -, j'ai tenté, cet été, l'expérience en haute saison.  

Derrière les persiennes, dans la fraîcheur du bar, le charme était bien là...



                                                              Affiche issue du site Hotel Belles Rives 





La Côte d'Azur devient, au début des années 1920, un refuge où les membres de la «Génération perdue» (parmi eux Scott Fitzgerald, John Dos Passos ou Ernest Hemingway) recréent un monde de perfection, protégé et oisif, comme pour retrouver l'innocence perdue par la Grande Guerre.

Ils suivent les pas de Gérald et Sara Murphy, couple américain fortuné et très proche des intellectuels de l'époque, qui découvrit dés le début de cette décennie la beauté et le calme du Cap d'Antibes. Les deux tombent immédiatement sous le charme de ce bout de côte protégé et découvrent le plaisir et les bienfaits des bains de soleil et de la mer tel que le décrit l' écrivain John Dos Passos dans son récit autobiographique « La Belle vie » :

«Gerald avait le flair d'un beau Nash pour faire des découvertes qui devenaient peu après le dernier cri de la mode. Tout ce que je savais d'Antibes était que Napoléon y avait débarqué après son évasion de l'île d'Elbe. Depuis il ne s'y était presque rien passé. Les Français et les Britanniques cossus qui fréquentaient la Riviera en hiver seraient morts plutôt que d'y être vus en été. L'endroit leur paraissait trop chaud, mais à nous Américains, la température nous semblait parfaite, les bains délicieux et Antibes était le petit port provincial vierge que nous avions rêvé de découvrir. Le culte du soleil commençait à peine».

Les Murphy vont même convaincre les dirigeants de l'hôtel du Cap d'ouvrir désormais quelques semaines en été, provoquant ainsi un véritable changement de moeurs. C'est le début du tourisme estival sur la Côte d'Azur... Ils finiront par acquérir une maison, la Villa America où ils recevront leurs amis et connaissances.






Parmi eux, Scott et Zelda Fitzgerald, qui selon le même Dos Passos, par ailleurs clairvoyant sur ses contemporains, vouent une sorte d'envieuse admiration aux Murphy, quintessence de cette beauté, de ces aptitudes sociales et de cette souveraine décontraction que permet l'aisance financière qui se refuse obstinément à eux :

« A cette époque, Scott et Zelda étaient des familiers du lieu. Scott, avec sa faculté d'adoration, se mit à porter un culte à Gerald et à Sara. Le couple doré que Scott et Zelda rêvaient de faire, existait réellement. Les Murphy étaient riches. Ils étaient beaux. Ils s'habillaient avec brio. Ils connaissaient les arts. Ils avaient un don pour les réceptions. Is avaient des enfants adorables. Ils avaient atteint le barreau supérieur de l'échelle humaine. C'était la fortune personnifiée.»
John Dos Passos « La Belle vie »

Fasciné, Scott s'inspirera du couple Murphy pour bâtir quelques un des traits des personnages principaux de son roman "Tendre est la nuit", Dick et Nicole Diver.

«_ Vous aimez cet endroit?

_ Peuvent pas faire autrement, murmura Abe North. Ils l'ont inventé. Il tourna lentement la tête et son regard se posa sur Dick et sur Nicole, avec un sincère et tendre affection.
_ Inventé? Comment ça?
_C'est la seconde année seulement que l'hôtel reste ouvert en été, expliqua Nicole. L'an dernier nous avons réussi à persuader les Gausse de ne garder qu'un cuisinier, un concierge et un chasseur.Ça a marché. Cette année ça marche encore mieux...
_ L' idée de départ est très simple, intervint Dick Diver, en modifiant l'inclinaison d'un parasol, pour chasser un rayon de soleil qui effleurait l'épaule de Rosemary. La plupart des plages du nord, comme Deauville, sont envahies l'été par des anglais ou des russes , qui se moquent éperdument d'avoir froid. Alors que nous autres, américains, nous appartenons, pour moitié à des régions de climat tropical. C'est pour ça que nous commençons à venir ici.»

Francis Scott Fitzgerald  "Tendre est la nuit"





Zelda et Francis Scott Fitzgerald et leur fille Scottie 1927



Pour Scott, son séjour au Cap, à la Villa Saint-Louis (qu'il louera entre 1925 et 26 et qui deviendra dès 1929 l'actuel Hôtel Belles Rives), offre une parenthèse enchantée. Il y connaîtra des moments de paix et de bonheur, avant que ne s'amoncèlent les problèmes d'argent, les demis échecs éditoriaux et surtout, les ombres dans l'esprit malade de Zelda:

"Avec notre retour dans une belle villa sur ma Riviera adorée, je suis plus heureux que je ne l'ai été depuis des années. C'est l'un de ces moments étranges, précieux et trop éphémères lorsque tout dans sa vie semble aller bien" 
Francis Scott Fitzgerald (citation de l'écrivain de 1926 inscrite dans le hall de l'Hôtel Belles Rives).



    Photo du site Hotel Belles Rives 




La présence des Fitzgerald ne contribuera pas peu au mythe naissant d'une Riviera vouée aux avant-gardes – et plus seulement aux vanités mondaines du gotta de la vieille Europe, quand bien même leurs excès éthyliques les privent à plusieurs reprises de la compagnie d'hôtes qui goûtent peu leurs outrances guidées par l'angoisse et la boisson.
A cette époque, la génération perdue cultive un art de vivre fait de petites migrations/escapades oisives et festives, essentiellement entre compatriotes... En effet, bénéficiant d' un taux de change très favorable (33 francs pour un dollar en 1919, près de 20 encore au milieu des années 1920), le mode de vie de ce cercle d'expatriés privilégiés est très confortable, sinon dispendieux...
«Je n'aimais guère le genre de grande réception que les Murphy avaient adopté à cette époque. J'étais timide (…) Mais il me fallait reconnaître qu'ils dépensaient leur argent avec élégance et profusion. Personne n'organisait des soirées plus amusantes..."

John Dos Passos "La belle vie"






La Riviera devient un lieu de rencontres mondain, parfois futile et excessif. Ces jeunes américains, de par leur «exil» en Europe, échappent à la Prohibition, et jouissent ce cette liberté en organisant des soirées de jazz de plus en plus folles.

Pour la première fois, prenant pied sur un continent où cela ne constitue pas une infamie, une génération d'auteurs américains prend le luxe d'assumer un statut d'artiste, loin d'un pays voué à la réussite matérielle et à l'entertainment comme industrie. 

Du reste, ils sont ponctuellement rejoints dans leurs refuges européens par les premières gloires d'Hollywood... Si certains, comme Hemingway, n'envisagent la Riviera que comme une escale entre deux amours (Le Jardin d'Eden), lui préférant les émotions fortes des courses de taureaux en Espagne ou l'excitation des courses de chevaux et du vélodrome d'hiver à Paris, elle n'en concentre pas moins mécènes et hôtes de haute volée pour tout ce que l'Europe compte de créateurs (voir post sur la Villa Noailles 24 juillet 2012).



Couverture du livre "Tendre est la nuit" de F.Scott Fitzgerald
 Introduction Charles Scribner 1995 
    http://www.barnesandnoble.com


Mais en 1929, lorsque survient le krach, la fête est finie: les membres de la "Génération perdue" retournent progressivement en Amérique... Non sans avoir laissé une empreinte sur cette Riviera qui leur doit tant... mais dont ils se trouvent si vite dépossédés, alors que le tourisme de masse est encore loin...

«Les Diver s'installèrent sur la plage, elle en robe blanche, lui en short blanc, d'un blanc d' autant plus éclatant qu'ils étaient plus bronzés. Nicole remarqua que Dick cherchait aussitôt des yeux le enfants(...)dans l'entassement des formes confuses et la pénombre des parasols. Elle cessa un instant de penser à elle, de s'inquiéter pour elle et prit un léger recul pour mieux l'observer. Elle comprit que s'il cherchait les enfants,(...) c'était moins pour les protéger que pour qu'ils le protègent. Comme si cette plage lui était hostile. Comme un souverain détrôné qui viendrait en secret visiter son ancien royaume...elle le laissa donc regarder cette plage, sa plage, complétement dévoyée aujourd'hui par le goût des gens qui n'en avaient aucun.»

Francis Scott Fitzgerald  "Tendre est la nuit"   

Autres POSTS sur Scott Fitzgerald:   Gatsby le Magnifique  et  Country club



Crédit photos // SLAVIA VINTAGE

mardi 14 août 2012

La Riviera italienne ou la dolce Vita en technicolor




Une atmosphère délicieusement surannée, des parasols aux couleurs acidulées, des promontoirs plongeant à pic dans la mer ... la côte Ligure et le charme indémodable de la Riviera italienne. Est-ce parce qu'elle respire à la fois la dolce vita et une certaine nostalgie, que je ne cesse d'y revenir?  

Le promontoire de Portofino offre un concentré de Ligurie, et rappelle que cette bande de terre (qui court de Menton à la Spezia), fut l'un des terrains de jeux favoris de l'aristocratie européenne, avant de devenir celui de la jet-set internationale des années 1950 et 1960. 

En témoignent les hôtels égrenés de Recco à Rapallo, comme autant de ces étiquettes colorées dont les voyageurs agrémentaient jadis leurs malles : le Grand Hotel Miramarele Imperiale Palace Hôtel, le Kulm  et les cabines en bois colorées des plages privées… Evocateurs également, ces lieux mythiques de la dolce vita comme l'American Bar Lo Spinnakerà Santa Margherita, où l'on peut encore siroter un cognac 1968 tout en réservant un Riva pour caboter jusqu'aux Cinque Terre











Si la jet set n'est aujourd'hui plus la même que celle qui fréquentait jadis les American Bars et si l'on ne croise plus guère de Princesses Polonaises dans les "Pharmacies Internationales" aux allures de joailliers, Portofino et Camogli, continuent d'accueillir chaque fin de semaine deux faunes inconciliables. 

Celle des Milanais distingués descendus de leurs brumes pour jouir à Portofino des plaisirs du Yacht club, et celle des Génois presque aussi truculents que des Napolitains, venus à Camogli en voisins, s'adonner aux joies innocentes d'un bain de mer.

Et puis moi, aimant à chaque fois observer leurs manières, en buvant un Spritz en terrasse au son de Luigi Tenco et d'autres "cantautori genovese". 








Quelques ADRESSES

Hotel La Vela, Sta Margherita Ligure
Caffé del BorgoSta Margherita Ligure
Spiaggia di Paraggi, Sta Margherita Ligure (dir. Portofino)



Crédit photos // SLAVIA VINTAGE


mardi 7 août 2012

Les vacances Art Déco d'Hercule Poirot


Je me devais sur ce blog d'écrire sur une série qui m'a marquée et qui a certainement développé mon goût pour les années 30. 

Je songe à la série britannique Hercule Poirot dans laquelle le charismatique David Suchet incarne avec précision toutes les facettes du personnage: tant les qualités de ce dandy intuitif, toujours tiré à 4 épingles et droit jusqu'à l'extrême - que ses défauts: sa vanité, son goût maniaque de l'ordre et ses manières si britanniques... pour un Belge.






Quand je regardais Poirot, mes yeux déviaient toujours sur les décors. Chaque épisode était l'occasion de plonger dans les ambiances cosy des cottages du Dorset ou dans les intérieurs majestueux des manoirs Géorgiens.



Mais ce que j'aimais avant tout c'était de découvrir des nouvelles ambiances art déco. Et j'étais comblée: dés que l'histoire le permettait, les réalisateurs cherchaient à localiser les enquêtes dans des bâtiments anglais représentatifs de cette période:

Le Penguin Pool, du zoo de Londres pour «Vol au château»
La villa High and Over, Highover Park, Amersham, pour «Le Roi de trèfle»
Le Hoover building, Perivale, Londres pour «Le songe»
Le Midland Hotel, à Morecambe dans le Lancaster pour «Double manoeuvre»
Arnos Grove Station, à Londres, dans «Le Guêpier»
Le Broadcasting House siège de la BBC à Londres pour «Le bal de la Victoire»
L'aéroport de Shoream, dans l'épisode «La mort dans les nuages»
Le De La Warr, à Bexhill on Sea, East Sussex pour «A.B.C. Contre Poirot» et «Le meurtre de Roger Ackroyd»
L'Ocean Hotel, à Saltdean, pour le «Vol de bijoux à l'Hôtel Métropole»
L'ensemble résidentiel Lichfield Court à Richmond upon Thames, dans le Grand Londres pour « Un, deux, trois ».
La villa Joldwynds, à Holmbury St. Mary pour «La disparition de M.Davenheim» et dans l'épisode «Christmas pudding»

Et surtout le Burgh Island Hotel...





C'est là qu'eut lieu le tournage des «Vacances d'Hercule Poirot». Les producteurs y recréèrent l'hôtel exclusif et isolé où dés le début du roman, Hercule est envoyé en cure par son médecin à la suite d'un malaise. Il y rencontre le couple Marshall et il ne peut s'empêcher d'observer les talents de séductrice de l'épouse, Arlena... qui sera retrouvera étranglée dans une crique.

Le choix des producteurs pour Bigbury on Sea, n'est pas le fruit du hasard: Agatha Christie y résidait régulièrement, sensible au mystère que dégageait ce lieu reculé et d'une grande beauté. L'endroit parfait pour y planter une intrigue.

C'est avec le désir de visiter l’Hôtel, que j'ai parcouru l'été dernier le South Devon en y découvrant, au cours du chemin, des bijoux années 30: la ville de Penzance et sa «Jubilee Pool», St Ives...

Couverture "Les vacances d'Hercule Poirot" Edition du Masque 1941 








En ayant vu et revu (voire, re-re-vu grâce aux multidiffusions de la chaîne TMC) Hercule Poirot mener son enquête dans les salons de l'Hotel, j'avais une vision assez précise du lieu, de son architecture géométrique, épurée et néanmoins luxueuse.





Construit en 1929, ce bâtiment art déco traduit l'essence même de ce mouvement décoratif qui se développa en réaction aux troubles politiques des années 20 et qui fut adopté comme un refuge, par une élite fortunée fuyant la récession et la Révolution Bolchevique.

C'est cette élite, cette clientèle aisée qui fit l'essor du Burgh Island Hotel dans les années 30. Ils y aimaient l'élégance du lieu et l'opulence des intérieurs. Logique, ces «décors» se devaient d'être à la hauteur de l'univers de perfection des propriétaires, la famille Nettlefold, gestionnaire des Studios de cinéma du même nom.




Affiche du film WE réalisé par Madonna, diffusé en France en décembre 2012 
Production Semtex films

Son emplacement, à l'abri des regards était aussi un atout pour des célèbres invités tels que Wallis Simpson et le duc de Windsor, sensibles aux qualités de ce lieu coupé du monde, auquel on accédait selon les marées soit à pied soit sur le curieux tracteur sur-élévé qui depuis 1930 transporte les clients de l'hôtel!





Dans mon cas, une fois la presqu'île atteinte, encore à pieds secs grâce à la marée basse, l'immersion fut totale: j'étais invitée à la traditionnelle «curry party» du Pub Pilchard Inn, situé dans l'enceinte de l'hôtel, dont il partage la clientèle et les cuisines ("hélas, les soirées dansantes art déco du samedi étaient sold out depuis des mois, conséquence d'un été anglais toujours éphémère"...). 




Qu'à cela ne tienne, sirotant une bière des Cornouailles face à la baie, il faisait bon écouter les conversations des jeunes gentlemen de derrière. Les écussons aux armes de Cambridge trahissaient bien leur appartenance sociale, mais moins que leurs babillages innocents sur la météo – "toujours awful" – au-dessus du manoir écossais, celui du côté de «Mère»...


A peine le temps de leur prêter un avenir radieux entre la City, Wimbledon et le Horse National, que retentissait la cloche de bord de Hans, le maître des lieux. 

Bientôt quarante ans que cet ancien capitaine de marine marchande allemand a jeté l'encre à Bigbury, et presque autant qu'il officie au Burgh Island Hotel comme aubergiste. Un teint cramoisi, souligné par deux belles bacchantes qui tiennent plus de celles d'un gentleman farmer que du Kaiser, un caractère de cochon (c'est lui qui le dit) et une faconde à faire bredouiller le premier capitaine d'industrie ou Lord égaré dans les parages.



Douillettement installée face à la baie, alors que la marée recouvrait l'étroite bande de sable reliant la petite île à la grande, je vis passer les mille et un plats indiens de cette curry party pas comme les autres. Et comme Hans m'avait visiblement à la bonne, je les vis même passer deux fois...

Le laissant derrière moi tirer des bouffées de tabac hollandais de sa pipe, j'allais respirer l'air chargé de sel et de bruyère des abords de l'hôtel, guettant dans la semi obscurité, la silhouette hâtive et suspecte d'un quidam en tenue de golf. A cette heure-ci? Curieux, isn't it?

 Couverture du roman "The Great white Palace" de Tony Porter


Crédit photos // SLAVIA VINTAGE